Anthropologie 2
Cosmologie
L’homme, de toute culture, s’est toujours défini par rapport à l’univers, il y voit une projection de lui-même.
C’est d’ailleurs ce qui se passe chez nous, car la conception de l’univers repose sur l’idée fondamentale que celui-ci a été créé par Dieu pour l’Homme, à son image, etc. Cette une conception fondamentale de l’anthropologie biblique : l’Homme devait occuper le centre du monde, et donc la Terre également. On vit dans un monde clos, dans le firmament (enveloppe de cristal ou d’acier transparent) au-delà duquel il n’y a rien[1].
L’Homme explique l’univers et l’Univers explique l’Homme. On va y fonder tout un savoir tendant à comprendre les choses en fonction de l’homme, lui-même microcosme dans un macrocosme : on veut voir des analogies entre le monde et le corps de l’Homme. C’est le fondement de La théorie des signatures[2].
Néanmoins, il y avait tout de même un malaise dans cette conception du monde : tout ce qui se situe entre la sphère dessinée par la lune est destiné à la mort. L’Homme est au centre de cette sphère et donc, de la mort[3]. Toute pensée cosmologique devait nécessairement être complétée par une réflexion sur l’origine de la mort, et donc du mal. (La Bible expliquera cela par le péché originel)
2. Système héliocentrique
o Copernic
L’ancien système va être bouleversé par la publication de « Révolution des ordres célestes », en 1543, par Nicolas Copernic, astronome d’origine polonaise qui trouvait que la théorie géocentrique de Ptolémée ne rendait pas compte de certaines observations faites depuis longtemps par les astronomes[4].
Plusieurs astronomes grecs avaient déjà émis l’hypothèse héliocentrique, et, en réexaminant cette hypothèse avec les technologies plus modernes de l’époque, il découvre que ce qui était anormal dans le système géocentrique est tout à fait normal dans l’héliocentrique.
Néanmoins, Copernic savait qu’une telle découverte lui amènerait des ennuis : tout le savoir reposait sur une figure géocentrique, son hypothèse allait être rejetée par l’Eglise. Si bien qu’il va attendre la fin de sa vie pour mettre l’ouvrage sous presse.
L’ouvrage passera inaperçu. La révolution copernicienne s’est, en réalité, écoulée sur plusieurs siècle.
o Galilée
Le procès de Copernic eut lieu en 1620, en même temps que celui de Galilée. L’Eglise a caché le système, le considérant comme une hypothèse parmi d’autres, sachant que l’unique vraie était celle de Ptolémée.[5] Pourquoi ? Parce que lorsqu’il s’agissait de trouver le sens de l’univers, il suffisait de lire la Bible. « C’est Dieu qui l’a créé pour son plaisir, etc », mais sans la doctrine géocentrique, on perdrait ce sens.
o De Fontenelle
Il faudra attendre 150 ans pour que les idées de Copernic soient vulgarisées par Fontenelle : Ce dernier a imaginé un faux dialogue avec une marquise qui se pose des questions sur la structure du monde, et on lui explique sur la pluralité des mondes pour s’en prendre aux causes finales (ce qui consiste à expliquer une chose par sa finalité). Fontenelle se moque de ceux qui pensent que le Soleil a été fait pour nous éclairer, que les étoiles n’existent que pour notre satisfaction.[6]
C’est face à ce rejet de la finalité du monde que les philosophes font se dresser.
Cela constitue un élément essentiel de la philosophie occidentale, cette rupture proprement épistémologique est fondamentale. L’Homme accepte de considérer que tout ne lui est pas destiné. La raison de l’existence de l’être n’est pas dans l’univers.
Même si beaucoup de philosophe vont s’en prendre aux causes finales, la théologie chrétienne s’assurera de prouver qu’elles ne sont pas si fausses que ça.
C’est une cassure avec l’ancienne vision du monde. Mais attention : Copernic voit quand même la Terre comme une matrice : l’homme est le plus intelligent, et est supérieur aux autres êtres existants, même s’il n’est pas au centre géographiquement.
o Bruno
Cinquante ans après la révolution copernicienne, un moine, Giordano Bruno tombe sur l’ouvrage de Copernic et c’est pour lui une révélation : il se demande pourquoi le monde devrait être fini, avec le firmament. Il pourrait y avoir des milliards de monde comme le nôtre.
Cette thèse, en désaccord avec l’enseignement de l’Eglise, va l’amener à être défroqué. Il parcourt l’Europe et ses idées auront une très grande renommée (il publie notamment De infinito y monade). Il finira engagé par un patricien Vénitien qui l’attaquera en justice. Rome exigera que Venise lui remette Bruno. Le procès durera 6 ans[7].
Bruno refusa de se rétracter et fut brûler le 17 février 1600 par l’Inquisition[8].
Dans ses affirmations, il ne nie pas l’existence de Dieu, qui serait une force co-existentielle au monde. Le monde aurait une forme passive et Dieu en serait la force dynamique (germe du système de Spinoza)
La matière, selon Bruno, n’est pas constituée des quatre éléments d’Aristote repris par l’Eglise, mais de petites parties qu’il appelle monade (matière et énergie).
Néanmoins, il dit que l’avènement et la rédemption du Christ n’a de sens que dans un monde fini. Il a d’autant moins de sens que, selon Bruno, toutes les âmes sont immortelles et éternelles et voyagent d’un être à l’autre, d’une planète à une autre, etc.
Toute la morale de Bruno n’a pu se construire qu’à l’encontre de l’Eglise. Sa morale était une morale d’amour et du don, « ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse ».
Bruno va marquer une rupture décisive entre la philosophie et la religion (voir cours de philo J)
Il y a là une fragilisation de la culture, car l’Eglise, qui détient le pouvoir. Ainsi, les intellectuels sont mis à l’écart.
Jusqu’alors, intellectuels et Eglise s’entendaient plus ou moins bien autour de la loi de la double parole. Les philosophes aristotéliciens exposaient des écrits d’Aristote (héritage préservé par les exégètes islamiques) dans lesquels il affirme ne jamais avoir cru en l’éternité de l’âme.
C’est surtout à Padoue que cette école fleurit avec le philosophe Pomponazzi qui démontre que l’âme ne peut pas être immortelle (tout en sachant que sa thèse va contre les dogmes de l’Eglise) : il le démontre avec la raison, ce qui amène une évidence, mais la foi montre le contraire, et la raison doit céder le pas à la Foi.
L’Eglise se montre fermée à toute innovation. De nombreux philosophes s’inspireront de Bruno et défendront ses idées, en allant plus loin, en entrant dans une forme d’opposition. La critique des anciens systèmes philosophiques va se doubler d’une critique de l’institution ecclésiastique elle-même. Les philosophes deviendront anticléricaux et athées.
o Gassendi
Gassendi défend l’idée de l’infini dans une argumentation que l’Eglise pourrait difficilement contester : Comment un dieu infini peut-il créé un monde fini ? Et finalement la mort ? Dans le système de Ptolémée, quelle est la position de Dieu ? Dans le firmament ? Donc il est fini.
o De Bergerac
Disciple de Gassendi, Cyrano de Bergerac publie une utopie qui est un voyage sur la lune et sur le soleil (ce dernier voyage nous est transmis partiellement car le manuscrit a été détruit). L’ouvrage, posthume, a été censuré par un de ces amis, ce n’est qu’au début du Xxème siècle qu’on a découvert les audaces qu’il contenait.
L’histoire raconte donc un voyage sur la lune. On y trouve des Lunariens qui prenne Cyrano pour un singe. Il a du mal à se faire identifier comme être intelligent et rationnel. (Il a déjà eu un procès dans la république des oiseaux où on l’accusait d’être le pire des animaux existants. Le fait de ne pas être considéré comme homme par les Lunariens remet en doute le caractère central de l’homme dans l’univers, c’est relativisé l’être humain.
Au cours d’une conversation, les Lunariens vont échanger leur vue en matière de philosophie, d’ontologie. Et ainsi, Cyrano arrive à faire développer par les Lunariens une philosophie totalement matérialiste (dieu est absolument exclu). Le monde est infini dans le temps et l’espace, pas besoin de Dieu, une cause extérieur à la matière (qui a sa propre fin, à elle seule) et reprend à Gassendi les idées fondamentales de l’Epicurisme[9].
On voit des idées de continuité de l’ordre biologique, ce qui était à l’époque appelé le domaine organique (façon de voir relativement acceptable par la science moderne).
Cyrano de Bergerac est mort jeune.
o Spinoza
Spinoza pense qu’on ne peut imaginer une matière finie, tout comme un dieu fini est inconcevable.
[1] Voir syllabus : chapitre 1, J. De Sacro Bosco
[2] Voir plus loin.
[3] Voir syllabus : chapitre 1, L. De Marandé
[4] Comment, en effet, expliquer la déviance des planètes si la terre est au centre de l’univers ? Il faut dans ce cas parler d’accidents mystérieux…
[5] Il est important de noter que l’Eglise n’a accepté l’héliocentrisme il n’y a qu’une vingtaine d’années !
[6] Voir syllabus : Chapitre 2, B. de Fontenelle
[7] La raison de cette durée est qu’il était connu de tous les milieux intellectuels et il valait mieux éviter à l’Eglise de se mettre tous les grands philosophes à dos.
[8] Voir syllabus : Chapitre 3, G. Bruno
[9] Pour Epicure et son disciple latin Lucrèce, les atomes s’accrochent ou se rejettent et forment des corps. L’atome, selon lui (et repris par Gassendi) est sensible et doté de sensibilité qui sera à l’origine de la vie, végétale et animale, et aussi de la pensée humaine ! Mais tout est du au hasard. D’après eux, la pierre pense, la plante pense, l’homme pense.